La prise de quart, pour ma part, est rarement faite de gaieté de cœur... Surtout quand c'est le moteur qui sonne l'heure et non celui qui veille. Et là, alors que je suis bercée par les mouvements du bateau, voilà que Gérard se met à ronronner.
Et qui dit moteur, dit pétole... Et là, c'est plus la même histoire. Quand le bateau ne peut plus s'affubler de ses jolies tenues, ça sent plus la gare routière que la grande bleue et même Vasco de Gama se serait senti devenir camionneur. Alors, au réveil, c'est un peu l'histoire éternelle de la goutte et du vase!
Après, ça passe. Mais tu as le temps de grogner encore un peu car tes chaussettes sont humides, car ta deuxième botte est introuvable ou encore car, une fois ta salopette enfilée, ton gilet de sauvetage harnaché, te vient une soudaine envie de pisser. Bref, tu arrives sur le pont les gencives un peu hérissées.
Et là, celui qui veille t'accueille avec toute la générosité de la nuit et de ses étoiles. Il t'explique les bateaux au loin, qu'il tient à l’œil depuis des lustres ou quelques minutes, il te dit que le cap qu'on avait visé toute la journée est enfin derrière et que le prochain cap, c'est les deux scintillements groupés et un isolé toutes les dix secondes qu'on pointe au 200°. Lui part se coucher. Te voilà seule avec tes humeurs.
Tu plonges dans la nuit. Tu ne grommelles plus vraiment mais tu as encore la flemme de te plonger dans le ciel, sujet d'étude tellement infini qu'il t'épuise d'avance. Tu préfères te perdre dans le son de ta musique et de l'eau du thé qui commence à bouillir.
Puis, soudain, alors que tu sirotes un Earl Grey, tu te surprends à te réjouir qu'il ne pleuve pas, que la nuit soit claire malgré l'absence de lune. Tu commences à la scruter... Et là, comme une fusée, file une étoile. Traînée de poudre tellement fugace que tu en doutes mais qui te fait oublier le vrombissement des cylindres. Tu te mets à éplucher l'obscurité à la recherche d'Orion et Cassiopée.
A la fin de ton quart, tu as un bouquin dans les mains, un bouquin sur les constellations. Et une brise souffle à nouveau...