Première frayeur
C'était le jour de notre départ de Cascais. On avait décidé de continuer vers le Sud malgré la non-arrivée de notre testeur de fuite par colissimo, resté bloqué en Midi-Pyrénées on ne sait trop pourquoi... il fera le trajet retour vers la France avant qu'on lui trouve une nouvelle destination en collision avec notre route.
Nous avons largué les amarres vers 15 heures du ponton. Le vent était faible, on a tenté les voiles mais au rythme auquel on avançait, on aurait mis des lustres à rallier le Sud du Portugal. Notre moteur s'est donc mis à ronronner.
J'ai préparé un petit repas, on a vu Endeavour glisser au loin, un magnifique voilier d'une richissime famille royale, sa silhouette élancée a croisé celle d'un cargo rectangulaire sur l'horizon.
Le soleil s'est couché, laissant place à une nuit où la Lune ne devait briller que peu de temps... Le ciel s'est chargé de moutons pas toujours blancs hélas. Ils se sont même mis à pleurer un sombre crachin sur nos capuches. Mais à souffler du vent, toujours pas. Les enfants sont allés se coucher. Nous avons pris nos quarts. Jean-Sam a commencé, j'ai tenté de trouver le sommeil malgré les ronflements réguliers de notre bourrique.
Alors que je commençais à somnoler, j'ai entendu Jean-Sam dérouler Eugène. Le vent se levait enfin... Je m'apprêtais donc à être délicatement bercée par les mouvements du bateau quand soudain, j'ai senti Beluga accélérer, la pluie battre sur le pont. Puis, tout est allé très vite. Le bateau s'est presque couché, j'entendais claquer violemment les voiles, Jean-Sam lutter avec l'enrouleur de genois pour réduire la voile d'avant. Dedans, un tiroir a volé, eparpillant écumoire, louche, ouvre-boîte ou bouteilles dans un grand fracas, le sac de linge sale est passé des toilettes à la cabine salle de bain dans un grand bond eparpillant lui, pour le coup, chaussettes fumantes et slips malodorants. J'ai mis mes vêtements de pont. Difficilement... Je dansais le twist comme jamais je n'avais réussi à le danser jusqu'alors : mes jambes tremblaient toutes seules. J'avais peur. Je ne comprenais rien. Je suis sortie. Js m'a filé la barre. Je ne voyais rien sous la pluie qui battait. J'avais les yeux rivés sur le compas, on filait plein ouest alors qu'on devait aller vers le Sud. Mon corps continuait à traduire mon incompréhension, j'avais froid et le souffle plus court que quand je cours. Jean-Sam a finalement réussi à enrouler le genois... Mais la gv était haute encore et c'était trop. On a reussi à réduire finalement... mais ça nous a pris un bon moment. Js m'a expliqué. Gros grain pas vu dans la nuit noire qui a fait passer l'anémomètre de 7 à 27 noeuds en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. Les enfants n'ont pas bougé, même pas réveillés. On a décidé de se rabattre sur un port de la côte avant de le dépasser et qu'on doive remonter le vent pour l'atteindre, on avait le vent avec nous.
Ca s'est calmé. Js est allé se reposer. Le vent s'est établi plus calme. Force 4. Le ciel s'est éclairci, la Lune est revenue scintiller, on a décidé de remettre le cap au Sud. On a alterné les quarts.
On a passé le cabo Sao Vincente vers 15 heures le lendemain. On y a croisé des hordes d'oiseaux sauvages qui planaient au-dessus des vagues.
Quand Beluga a pointé l'étrave vers Lagos, la lune est revenue, chassant dormir le soleil dans un rougeoiement digne des mille et une nuits. Chassant aussi la peur de la nuit...