L'appel de la terre...
La dernière amarre frappée sur le quai de Flores, c'est d'abord l'immobilité relative qui surprend le corps.
Tu pénètres dans le bateau... Plus rien de bouge. Une porte de cabine reste étonnament entrebaillée, elle ne finit pas dans un claquement lapidaire après un mouvement de gite. Les assiettes et casseroles ne grelottent plus dans le fond de l'évier. La poulie qui grinçait comme l'armoire de chez mémé, l'eau qui s'écoulait comme un torrent le long de la coque, le vent qui battait les pavillons et les vagues le pont... Tout cela se tait, se noyant dans un silence presque feutré. Même l'éolienne ne s'emporte plus en tournant ses pales d'un côté ou de l'autre comme une grande dame vexée pivoterait en faisant claquer ses talons. A terre, on dirait un de ces jours de neige, un de ces jours où les sons s'emmitoufflent dans un velours délicat. Au bistrot, au sommet d'une côte, on attend une bière fraîche tandis que la serveuse repart avec un plateau chargé de tasses qui tremblottent dans leur soucoupe. La capsule qu'on libère laisse se dégager un sifflement de fraîcheur. Les voix alentours effleurent nos oreilles encore chargées des humeurs bruyantes de la mer. C'est caressant. Les sourires aussi le sont. Des pneus qui crissent sur le bitume et un pot d'échappement qui fulmine au loin écorchent à peine notre quiétude. Nos narines ont renoué avec les parfums des fleurs depuis le large déjà et l'odeur de la mer à marée basse nous a saisi sur le ponton. Plus loin, il y aura d'autres fleurs encore, le graillon et la fumée de clope. Les mômes courent, courent et courent...
On ne restera pas longtemps sur Flores. Une seule journée complète où le temps a passé entre silence et immobilité. C'était pourtant une des plus belles îles de l'archipel... On y reviendra. Beluga repart pour une nav de nuit vers Horta. La fenêtre météo est la seule de la semaine et Malin, un autre bateau où se nichent des copains, y est déjà. La nuit sera sans doute un peu celle de trop après les douze jours de traversée. Une des seules où l'envie d'arriver est plus forte que le plaisir d'entendre chanter la vague d'étrave. Pourtant elle se donne. Beluga trace dans la nuit sans lune au bon plein avec un vent de 25 noeuds. Mais on avait encore envie d'horizons inertes et de gazinière qui ne joue pas aux balancelles! A l'arrivée, Vincent vient à notre rencontre en planche à voile et les bras de Marthe s'ouvrent plus grand qu'un soleil qui s'endort. Yoko est là elle aussi. On se trouve ou se retrouve.
Il y aura du tarot, de la baignade ou des sentiers de randonnée. Des p'tits restos, des longs apéros, des casse-dalle ou un barbec' sur le quai. On parle, on se raconte.
Y'a des moments d'avant qui émergent parfois. Des bouts de Bretagne fleurissent sur le quai d'Horta, au milieu des graffs des voyageurs. Maintenant, c'est Cosquinquis qui a atterri depuis quelques jours. On évoque les noix qui tapissent la cour, la pluie qui s'abat sur les toits, les oeufs qu'on découvre au fond du poulailler. On renoue avec le sacre du café et toutes ces petites choses que le voyage avait fait déserter.
Alors un peu comme les sirènes, ces petites choses, qui nous manquent, nous font de l'oeil et du pied! On n'est pas loin. Malin repartira pour le Nord lui. Beluga fera pointer son étrave vers le Sud. Il faudra que la mer soit belle et fasse retentir plus fort le chant de son étrave que celui des sirènes, ou que famille et copains déboulent à nouveau pour que ces petites choses ne nous manquent pas trop...