Routine en déroute...
Me voilà de retour à bord de Beluga depuis deux bonnes semaines maintenant. Étrange sensation que de réintégrer le bord. un peu comme un enfant qui retrouverait, après une période de vacances, sa chambre. Je ne les avais encore jamais quittés auparavant les oiseaux bleus qui couvrent les bannettes, le son de l'eau qui clique-tique le long de la coque, le jaune pâle et dépressif des plans de travail et le souffle salvateur du vent qui s’immisce par les hublots. Boat, sweet boat ! Fallait le quitter pour s'y retrouver. Un peu comme la Bretagne, un peu comme la Belgique. Un peu comme tous ces lieux. Ils finissent, au fil du temps, par former un mille-feuille de petits nids douillets où s'accrochent nos vies. Beluga et Saint-Martin, nouvelle couche dans le mille-feuille.
Beluga. Maison nomade, sans fondation autre que le vent et ce qu'il exige. Confort fruste où le superflu, inadapté, s'y fatigue, s'y use pour y disparaître. On écrème, on solde. Ce qui reste, bien souvent, est toujours de trop.
Saint-Martin, petit caillou aux bordures de la mer des Caraïbes. Dernière escale présumée avant les Açores que du coup, on ne reverra pas tout de suite, les Alizés soufflant encore sur nos bouilles au vent. On avait peut-être envie de rester un peu pour se garder sous l'coude ce qu'on a raté de ce côté de l'Atlantique, laisser les passes coralliennes des Grenadines à portée de coque et les sentiers de Martinique à portée de semelles.
Saint-Martin, la décriée bien souvent. Par le fric, le crack et ce qui va avec. Saint-Martin l'artificielle comme disent certains. Car, sèche comme une bouche pateuse après un pétard, rien n'y pousse, ou pas grand chose, pas assez, pas comme ça, sans aide. Hotels et resort ineptes poussent eux par contre, ça oui. Saint-Martin la cradingue, qui ne trie rien ou presque, ni verre, ni métal ni carton ni plastique. Saint-Martin la bancale avec ces tôles en suspens et ces bateaux dématés. Saint-Martin la débridée aussi où j'ai pu admirer les plus longues roues arrière de l'histoire, sans casque évidemment. Où les gens te sourient et te parlent aussi facilement que mardi suit lundi. Où la plupart des voitures, cabossées, meurtries, n'ont plus de vitre arrière ou n'ont plus que des trous à la place des phares, énuclées. Mais où leur klaxon communique par une palette rythmique tout aussi large que les nuanciers des magasins de peinture, où tu peux rester bloqué pendant des heures entre le bleu paon et le bleu sarcelle! C'est assez déroutant d'ailleurs au début, pourquoi s'énerve-t-elle sur moi la grosse devant là? Et en fait, non, elle n'est pas énervée du tout, elle te fait juste signe pour que tu puisses passer. Déroutant comme ce cheval qui attend patiemment son cavalier à la porte d'une pharmacie, sans selle ni bride. Déroutant comme l'iguane qui vagabonde dans une impasse. Déroutant comme ces chèvres qui entrent dans le bar et y prennent presque place car dehors la pluie bat... Puis que dedans, elle est pas mal la musique qui s'y joue!
Alors voilà, même si la routine semble pointer à nouveau le bout de son nez à l'horizon... Jean-Sam étant déjà sur les toits et nous, les derniers membres du bord, nous rapprochant de plus en plus des salles de classe et de leur tableau noir, on est encore un peu dérouté par tout ça. Alors, est-ce qu'une routine au milieu de détails déroutants est une routine finalement?