Isaac et iguanes
Beluga et la baie de Marigot ont retrouvé le calme. Le calme d'avant Isaac. On a eu un début de semaine où l'eau du mouillage était lisse et transparente comme le vide. Elle reflétait nos visages comme un miroir. La tempête tropicale passant au Sud nous a un peu secoué à partir de jeudi fin d'après-midi. Notre anémometre a joué avec les quarante noeuds et le pont avec des pluies parfois aussi battante qu'une batucada. La chaîne de l'ancre, bien tendue sous les rafales, a fait son boulot comme notre nouvelle pioche, sans perdre leurs nerfs. On avait rangé tout ce qui pouvait faire du fardage.
La houle qui rentrait un peu nous a bercés toute la nuit. Cartables gargantuesques avaient été mis à l'abri dans le coffre de la voiture entre deux grains, en fin de journée jeudi, la veille, par Jean-Sam. Allégeant dos et départ matinal du vendredi, ce qui n'était pas superflu. Au petit matin, il ne restait plus grand chose des colères du ciel, hormis quelques nuages exceptionnellement boudeurs. Florence, Hélène et Joyce ne sont plus grand chose, elles non plus. Mais la saison n'est pas finie et tous nos matins commencent rituellement par un coup d'oeil à la carte du National Hurricane Center.
Le quotidien prend sa place sur Beluga et dans nos journées. Chacun y développe ses nouveaux repères, s'y adapte. Ce n'est plus le hérisson qui anime le bitume de la cour mais l'iguane. Ce n'est plus la bouillasse lennonaise au seuil de la porte mais les vaguelettes qui jouent avec les boudins de l'annexe jusqu'à parfois surprendre nos postérieurs.
J'ai quitté le multi-niveau pour un niveau unique dans une école où le rouge de mon stylo est censé noter les têtes blondes. Je m'adapte à ça aussi en espérant déjouer ce rapport entre pourcentage et apprentissage. Les enfants aussi, s'adaptent à tout ça. A ces choses auxquelles on ne croit pas forcément mais avec lesquelles il faut composer un peu, en tous les cas pour l'instant. Et souvent, je me dis que c'est une sacrée chance que d'avoir été pendant deux années entières plongés dans un autre univers. Celui du large, dont l'air nous picote le regard plus d'une fois dans la journée.
Les bourgeons de prochaines navigations éclosent de ci de là dans nos têtes, ils seront peut-être en fleurs aux prochaines vacances. Avec comme pétales nos voiles affamées et comme tige, notre coque et sa vague d'étrave qui nous emmèneront vers des champs tout bleus...