Beluga vieux gréement !
Il y a deux jours, Beluga a mis le cap au 220. C'est plus du Sud que du Nord. C'est plus du portant que du près. Derrière, il y avait Tobago dont les fonds ont accueilli une partie de notre dérive et devant, il y avait Trinidad qui en recelait la promesse d'une nouvelle. Une soudure a lâché silencieusement et voilà cette pièce maitresse par des centaines de mètres sous la surface de l'eau. On s'en est rendu compte seulement le lendemain, la trouvant un peu trop silencieuse dans son puits. Pour cause, elle n'y était plus. On en est presque venu à regretter le tic tac de cette précieuse pendule se balançant au gré du roulis. Alors on s'est pincé en tournant pour réaliser la chose, on a mis une quinzaine de jours à réagir tout en profitant de Pirate Bay dont on ne quittait la plage pour rejoindre la ville que par un joli sentier et un escalier de 142 marches qui m'a rappelé celui de la maison de mes grands-parents, à Bruxelles. Dans un tout autre décors cependant.
On s'y est organisé des anniversaires dignes des plus belles épopées de chasse au trésor et des barbecues tropicaux où grillent du barracudas, du thon et même une langouste qu'un pêcheur nous a emmenés pêcher, des courges et des bananes que l'on pose ensuite sur d'énormes feuilles jonchant le sable en guise de banquet.
On s'y est improvisé des arrivées en annexe dans des rouleaux presque hawaiens selon un marseillais, que les enfants ont ensuite étrenné avec leur planches de body (pas le marseillais hein!). On s'y est lavé dans l'eau d'une source qui venait y mourir. On y a savouré les cris lointains de perroquets au petit matin et l'éclat mordoré de gargantuesques lucioles au coucher du soleil. Elle est partie par le fonds mais elle ne nous prendra pas tout ça!
Peu à peu, au milieu de tout ça, on a réagi. Une perche s'est tendue sur Trinidad, un tuteur d'apparence un peu faiblarde en Guadeloupe et juste une paille en Martinique! On avait une envie de Guadeloupe, alliée à une envie de fromages, de saucissons et de viennoiseries. Alors on a essayé un cap au 350. C'était pas possible. La barre devait être poussée sous le vent pour maintenir l'étrave un brin loffée vers la Martinique. Mais la vraie route, celle qu'on fait sur le fond, nous menait péniblement vers les Grenadines. Il parait certes que c'est très coquet par là bas, mais on n'y trouve pas de dérive ! Il essayait notre vieux bougre, de faire ce qu'on lui demandait mais juste, il pouvait pas. Puis comme on anthropomorphise toujours un peu son bateau, j'avais presque l'impression qu'il était perdu, qu'il comprenait pas pourquoi il pouvait plus remonter le vent et qu'il se demandait en plus pourquoi on lui demandait alors que c'était juste impossible. Ça lui faisait bizarre et à nous aussi, d'autant plus qu'il nous avait menés jusqu'ici dans toutes sortes de navigations qu'il a très souvent honorées jusqu'au bout. Il en bave, nous aussi. On le fait abattre au 240 pour faire route vers Chagaramas. Ça, il sait faire. Il nous offre une jolie nuit de portant animée par une lune généreuse, de nombreux pêchous et divers engins motorisés. On est arrivé au petit matin, après avoir aperçu le Venezuela s'étirant à moins de 30 milles et après un passage paradisiaque entre Trinidad et un îlot plus à l'Ouest. Des escadrilles entières de pélicans ont salué notre passage, l'eau a oublié la houle atlantique pour s'évanouir dans un miroir.
On a passé une aussière dans un coffre au bout de la route. Il était encore très tôt... Et le soir, la sortie d'eau de notre bateau devenu caravelle des Temps Modernes était prévue pour la première heure du lendemain et on avait rencontré 'Justin' qui a quelque part, entre ses doigts et dans son atelier, ce qui devrait permettre à Beluga de redevenir lui-même.