Dernière case caribéenne
Nous voilà à Saint-Martin. On l'avait quittée il y a un peu plus d'un an, juste avant la saison cyclonique. On est repassé devant Polypat, on a été se baigner à Baie Rouge mais Val n'y était plus, on a bu une bière au sous-marin où on a retrouvé Paula et son mari, on a lancé des machines chez la mer Denise, on s'est arrêté à l'île marine où Bernardine nous a accueillis de son large et généreux sourire et où on a recroisé Lomig. A chaque pas, on croise des traces d'Irma. Tout est marqué de son sceau. Les lieux et leurs ambiances, les gens et leur parole. Il y a des déchets de partout, de toute taille, en bois, an plastique, en métal, en on sait pas quoi. Beaucoup de cocotiers ont perdu leur tête ou se sont couchés ou les deux. Comme de nombreux panneaux publicitaires, antennes, réverbères ou autres poteaux normalement destinés à la verticalité. Maisons, immeubles, pavillons en morceaux. Toits disparus, charpentes en douleur. Tribunes de stade soufflées. Tetris géant de voitures ravagées le long de certaines routes bordées de terrains qui sont devenus, après Irma, un peu vagues. Certains endroits sont comme miraculés, une végétation épanouie et confiante, un toit étonné d'être encore là, un portail arraché éventuellement. Dans le lagon, des épaves gisent un peu partout. Retournées, on ne voit que leur coque. Éventrées, elles attendent sur un bout de plage, sur un amas de cailloux, entre les piles d'un pont ou sur un haut fond. D'autres jouent au Tetris géant avec les voitures le long des routes ou sur d'anciens chantiers. La marina du lagon n'est plus. Plus de pontons, plus de capitainerie... Seulement quelques aménagements de fortune qui permettent peut-être de remplir les réservoirs. Ils résonnent un peu comme cette table sur tréteau de l'aéroport où une hôtesse a barré le nom de Charlotte qui devait embarquer pour son vol vers l'Europe, avant de la laisser entrer dans une « salle » destinée aux départs, une espèce de tente améliorée où elle a pu enregistrer ses bagages.
Avec elle, on a profité, sur Marie-Galante, de l'anse Canot où nos pieds nus ont à nouveau foulé du sable blanc et certains pieds sautés du bateau.
De Gwanbour, nos chaussures sont parties arpenter des sentiers menant au travers de champs de canne, bordés de gigantesques manguiers et cocotiers dont on a ramassé les fruits qui se sont vite jetés sur nos papilles.
On a pris un coffre aux Saintes à Terre de Haut, puis un autre à l’îlet Cabri. Ça sentait presque les côtes du Sud, ou de la Corse.
Beluga est ensuite remonté vers la côte sous le vent de la Guadeloupe, Charlotte, notre nouveau mousse, aussi fringuante qu'un marin au long cours ! A Rivière Sens, on a retrouvé Moana et son équipage qu'on avait plus vu depuis notre première escale aux Canaries, sur Santa Cruz de Tenerife.
Ils nous ont menés de cascades en cascades où petits et grands ont nagé dans une eau douce comme du lait. Puis dans des bains chauds nourris par les entrailles de la Soufrière. Emballées par une aurore plus lumineuse qu'un vitrail, Charlotte et moi avons grimpé sur la vié madanm. Elle nous a gâtées de quelques panoramas dégagés mais dont les arcs-en-ciel prédisaient des ondées. On y a eu du brouillard, une pluie torrentielle et le cratère est resté secret. Mais le sentier à lui seul, valait le sommet. Avec ses mousses aux couleurs improbables, ses plantes presque baroques, ses rochers gros comme des robes de mariée en mode guimauve!
Moana et Beluga nous ont menés jusque Malendure et l'îlet Pigeon où tortues et poissons tropicaux ont rempli nos masques. Puis Moana est reparti vers le Sud, Beluga vers le Nord de la Guadeloupe... C'était court, juste trois jours. Mais c'était chouette de se revoir.
On a terminé par une jolie nav de nuit entre Deshaies et Philipsburg. Charlotte a pu plonger dans les rayons du soleil couchant, une lune rousse et le plancton phosphorescent qui faisait écho aux étoiles. On est arrivé juste à temps pour passer le pont. Il ne restait plus qu'une nuit à Charlotte. C'est passé tellement vite tout ça. On voyait son départ un peu comme le glas de notre passage caribéen. Nos connexions internet sont vouées à la météo de la transat retour, vers les Açores. On regarde vers l'Est maintenant. Mais on a encore des gens à voir, des bouches à écouter nous parler d'Irma. Ce soir, on a rendez-vous avec Patrick, Sonia et Titouan.